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Cette histoire sera éditée en plusieurs parties, qui se suivront et se complèteront.
Ce récit repose sur des évènements vécus, et d’autres qui sont imaginés. L’homme dont je fais l’heureuse connaissance est une personne qui existe bel et bien, mais que je n’ai pas (encore) rencontré personnellement. Que l’auteur du « Cygne Noir » me pardonne mes libertés dans mon récit, j’essaye d’être fidèle à sa personne et à sa pensée du mieux que possible. Pourtant une certaine humilité s’impose à moi, car une fidélité totale n’est pas vraiment réalisable : cet auteur possède un vécu et des connaissances qui vont bien plus loin que les miens. Le but est de vous faire découvrir à tous des concepts qui m’ont beaucoup touché et m’ont fait vraiment réfléchir, le tout à travers une histoire agréable et facile à se représenter.
Si vous êtes curieux(se), alors n’hésitez pas à entrer dans ce monde, vous pourriez en ressortir vraiment changé(e)… d’une manière ou d’une autre !
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Aéroport de Paris, 19h30. Ma correspondance est annulée. Quelle surprise ! Ce n’est que la troisième fois que ça m’arrive en dix ans… Bloqué à Paris alors que je n’ai rien d’important à y faire. Pourtant, cette fois je n’aurai pas à prendre le train pour rentrer : ils m’offrent la nuit à l’hôtel Hilton. C’est plutôt pas mal. Pour les autres passagers du vol, l’atmosphère est tendue, cela se sent.
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Je récupérai mon bagage, signai les formalités de la compagnie aérienne et me dirigeai vers le minibus qui nous amènera vers l’hôtel. Il est tard, et le voyage, plus ces péripéties, m’ont un peu fatigué.
Un homme en veste marron-claire, chemise bleue, et avec une petite barbe grise s’assied à côté de moi.
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« Bonsoir Monsieur, lui dis-je lorsqu’il se mis à l’aise dans son siège, votre vol à lui aussi été annulé je suppose. »
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Il se tourna vers moi :
« Bonsoir, oui mon vol a été annulé, mais j’ai l’habitude de traiter avec ce genre de situation. »
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Il avait un léger accent.
« Vous êtes étranger ? »
« Hum, oui je suis américain, mais je sais parler français depuis mon enfance. »
« Vous venez de dire que vous aviez l’habitude de traiter ce genre de situation, ça vous arrive souvent quand vous venez en France ? »
« Non, non, pas du tout, les vols annulés cela arrive… même chez moi » me répondit-il avec un discret clin d’oeil. « Ce que j’ai voulu dire c’est que mon travail même consiste à m’adapter aux aléas de la vie, quels qu’ils soient. Ce qui vient d’arriver est une broutille, comparé à ce qui pourrai arriver. »
Ce que j’ai voulu dire c’est que mon travail même consiste à m’adapter aux aléas de la vie, quels qu’ils soient.
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J’étais intrigué par ce qu’il venait de dire. Mais pas seulement. Il avait un ton dans la voix qui disait : j’en sais long sur le sujet, très long.
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« Pardonnez ma curiosité : quel travail faites-vous donc ? »
Il me répondit droit dans les yeux avec un léger sourire dans la voix :
« D’habitude lorsque l’on me le demande et que j’ai envie de rester tranquille et pouvoir lire, je répond que je suis chauffeur de taxi. Les gens me répondent « Ah », et me fichent la paix. Mais en réalité, je suis ce que l’on peut appeler un « penseur de l’incertitude ». »
Je suis ce que l’on peut appeler un « penseur de l’incertitude ».
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J’étais encore plus désarçonné. Je ne comprenais pas ce qu’il voulait me dire.
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« Donc, vous êtes une sorte de philosophe de l’incertitude ? » Tentai-je.
« Oui, c’est ça. Je suis un spécialiste de l’Extrêmistan. Alors que les gens, en général, sont des spécialistes du Médiocristan. »
Je suis un spécialiste de l’Extrêmistan. Alors que les gens, en général, sont des spécialistes du Médiocristan.
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Je n’y comprenais rien. Je pensais être tombé sur quelqu’un d’un peu trop spécial à mon goût, et pourtant j’estime être quelqu’un d’ouvert…
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Il poursuivit en riant :
« Je vois que j’ai réussi mon entrée ! Vous avez l’air d’avoir les idées qui partent dans tous les sens. Je suis quelqu’un d’un peu original, heureusement pour moi ! Vous pouvez me tutoyer, appelez-moi par un de mes surnom : N.N. »
« Ah, alors tutoyez-moi également, on me surnomme Alex d’habitude. »
« Enchanté de faire ta connaissance Alex. Tu m’as l’air d’être quelqu’un de curieux des choses. Je peux te poser une question ? Tu apprécieras sûrement ! »
« Euh, bien sûr, vas-y N.N. » dis-je en souriant à moitié.
« Tu vois ce minibus, il reste encore quelque personnes qui doivent monter pour qu’il se décide enfin à partir. On doit être une vingtaine à l’intérieur. Regarde les bien, tous, surtout leur taille. »
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Nous étions à l’arrière, donc la chose fut rapide à faire, même si ils étaient assis, il était facile de deviner leur taille avec la hauteur du tronc.
« Hum, oui il y a toute sorte de gens. Ils font tous à peu près la même taille. Je ne vois rien de spécial. »
Ils font tous à peu près la même taille. Je ne vois rien de spécial.
« Justement, tu ne vois rien de spécial. Parce qu’il n’y a rien de spécial. La taille des gens fait partie de ce que j’appelle le Médiocristan. Maintenant fait la moyenne de toutes les tailles que l’on trouve dans notre groupe des exclus des voies aériennes… »
« Je dirai 1,70m environ. Oui je pense que c’est une moyenne convenable. »
« Bien, maintenant imagine ceci : un basketteur géant entre dans notre groupe, il fait 2m10 de haut. La moyenne des tailles changera-t-elle de beaucoup ? »
« Non, même dans notre groupe de seulement 20 personnes, la moyenne variera de 1 ou 2 %, tout au plus. Notre géant ne fera pas beaucoup la différence, la moyenne des tailles passera de 1,70m à 1,72m, à tout casser. »
Non, même dans notre groupe de seulement 20 personnes, la moyenne variera de 1 ou 2 %, tout au plus.
« Exactement ! » Il baissa un peu la voix : « Maintenant, essaye d’imaginer le revenu annuel de chacune de ces personnes. Je sais ça ne sera pas facile, ni sympathique pour ceux pour qui tu te trompera de beaucoup, mais peu importe, cela n’influera pas sur la conclusion. »
Je réfléchi pendant quelques secondes et me lançai :
« Bon. Il y a beaucoup de vacanciers et de familles, et des cadres… ah il y en a un qui va monter dans le bus, avec sa femme. Je le reconnais, il refusait que l’on lui paye une chambre « minable », comme il l’a dit lui-même. Il a décidé de payer plus pour prendre une suite. Il a donné 8000 euros au responsable de l’hôtel qui était à l’aéroport, pour que tout soit parfait pour lui et sa femme, et que tout soit préparé afin qu’ils repartent pour le premier avion qui décolle demain matin. Je n’ai jamais vu ça. Bref, il a doit avoir juste une quarantaine d’années, et il s’est fait remarqué… il doit être riche, vraiment riche.
Je vois où tu veux en venir N.N., la moyenne, cette fois-ci, va grimper énormément lorsqu’il montera dans le minibus (s’il accepte de monter !). L’argent est une valeur plus aléatoire que la taille des gens. Du coup, un seul « très riche » va considérablement influer sur la moyenne des revenus des gens. »
L’argent est une valeur plus aléatoire que la taille des gens. Du coup, un seul « très riche » va considérablement influer sur la moyenne des revenus des gens.
« Exact ! C’est ça que j’appelle l’Extrêmistan. C’est le monde des grandeurs non physiques, de l’information, du social. Par opposition au Médiocristan, qui est le monde du physique et de la norme. Personne ne va rentrer dans le bus et mesurer plusieurs kilomètres de haut, c’est physiquement impossible !
Tout le monde fait à peu près la même taille, mais par contre, les gens en général ont un revenu normalisé… sauf quelques-uns. Et ces quelques-uns font une énorme différence ! Bill Gates possède plusieurs dizaines de milliards de dollars, et je suis quasiment sûr que rassembler tout ce que possèdent les personnes à côté de nous réunies, même avec notre riche indiscret de l’aéroport, ne suffirait pas à atteindre 0,1% de ce que possède un Bill Gates.
Tu remarques d’ailleurs que c’est pareil pour la vente des livres. Pense par exemple à J.K. Rowling, l’auteur de Harry Potter, qui a vendu ses livres à plus de 400 millions d’exemplaires. On peut dire qu’elle écrase tous les autres auteurs, plus modestes, qui sont déjà très contents si ils atteignent le cap de 10000 exemplaires vendus. C’est ce que j’ai appelé un succès du type « le gagnant rafle tout », typique de l’Extrêmistan, et qui est parfois un peu trop injuste pour les autres. C’est le monde extrême et quasi-illimité du social, de l’information, de l’économie, d’Internet etc. »
L’Extrêmistan, c’est le monde des grandeurs non physiques, de l’information, du social. Par opposition au Médiocristan, qui est le monde du physique et de la norme.
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Le bus démarra enfin. Je réfléchissais à toute vitesse sur ce que ma nouvelle connaissance, un mystérieux N.N. qui ne donne apparemment pas son prénom au premier venu, était en train de me dire. Je n’avais jamais vraiment vu les choses de cette manière. D’un côté il y a la norme, où tout le monde est à la même enseigne, même s’il existe de petites variations. Et de l’autre côté il y a l’extrême, où une minorité va considérablement changer la moyenne établie. C’est le monde, parfois injuste, du « gagnant rafle tout » comme il le dit si bien.
L’Extrêmistan, c’est le monde, parfois injuste, du « gagnant rafle tout ».
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Je lui demandai :
« Mais il y a des professions qui sont plus soumise que d’autre à ces variations, non ? Ce que je veux dire, c’est qu’être un auteur comme J.K. Rowling permet d’avoir un succès phénoménal si on réussit, et un échec tout aussi phénoménal si elle ne vend aucun livre. Le bouche-à-oreille et la publicité feront que plus les gens aiment, plus ils en parleront à des amis, et plus les leaders d’opinions en parleront à la télévision, ce qui touchera un nombre encore plus élevé de gens et ainsi de suite… le cycle se répète et prend de l’ampleur. Cela créé une réaction en chaîne qui explose, de manière exponentielle en plus. Il n’y a pas de limite physique au nombre de livres qui peuvent être imprimés, c’est facile et économique à faire ! La seule limite dans l’absolu serait le nombre de personnes sur Terre… »
Il prit la relève et poursuivit mon raisonnement :
« C’est ce que l’on appelle une profession scalable, c’est-à-dire sans limite visible. Notre riche auteur de livre n’a eu qu’à écrire un seul livre, tous les autres étaient des copies faciles à produire. Elle en a vendu des centaines de millions, mais elle n’en aurait vendu qu’un seul, le travail pour elle aurait été le même. C’est la même chose pour Bill Gates. Créer le premier Windows lui a fallu des efforts, mais le gain de ces efforts peut être multiplié à l’infini…
C’est ce que l’on appelle une profession scalable, c’est-à-dire sans limite visible.
A l’inverse, une profession non-scalable est limitée. Un boulanger ne peut pas vendre à l’infini, il doit produire au moins un pain par client. Un professeur qui donne des cours à une classe de Terminale S a une profession non-scalable ; mais le même professeur peut donner des cours sur Internet au monde entier et ainsi multiplier les retombées d’un seul de ses cours pratiquement à l’infini… sa profession devient alors scalable grâce au numérique. Je simplifie un peu mais c’est ainsi que le monde d’aujourd’hui fonctionne. »
A l’inverse, une profession non-scalable est limitée.
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Je m’interrogeais tout haut :
« Mais une profession scalable est très sujette aux inégalités, le nombre de Bill Gates et de J.K. Rowling n’est pas très grand. »
« Eh oui, l’injustice y est prépondérante. Imagine un jeune artiste de talent qui donne des représentations de piano tous les soirs dans des salles, et qui se fera souffler la vedette par les simples CD d’un pianiste qui est une star auprès de l’opinion publique. Personne ne se déplace voir le jeune novice pour 10€, par contre tous le monde achètera le disque de la « star » pour 15,99€ ! Le monde du scalable c’est l’Extrêmistan, le monde du tout ou rien, du peu de gagnants qui raflent tout, et de l’immense majorité qui n’a rien. Le monde du non-scalable c’est le Médiocristan, le monde de la norme et du limité, mais surtout du moins risqué ! »
Le monde du scalable c’est l’Extrêmistan, le monde du tout ou rien, du peu de gagnants qui raflent tout, et de l’immense majorité qui n’a rien.
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On était arrivé. Le bus s’arrêta devant l’hôtel, tout le monde descendit du minibus. Un portier nous ouvrit la porte. Le hall de l’hôtel était splendide !
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« Eh bien, je ne regrette pas d’être sans avion ce soir, le cadre est magnifique, et notre discussion fort intéressante ! »
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Au moment où je prononçai ces paroles, un des cadres en costard-cravate qui venait de l’aéroport commença à parler très fort, il cria presque. Je vus alors qu’il était sur son téléphone portable. Il sembla abattu par une nouvelle accablante concernant un « coup raté ». Il n’arrêta pas de répéter qu’il a été trop prudent. Trop prudent ?
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N.N. me fit sursauter en se mettant à parler subitement juste derrière moi :
« Un coup en bourse qui a raté, je connais bien ce genre de phénomène, j’ai moi-même été trader. Il a dû perdre beaucoup vu l’intensité de ses cris, et je parierai même ma chemise qu’il se croyait totalement à l’abri d’un gros imprévu. Notre pauvre ami a raté son avion et a subit l’attaque d’un Cygne Noir dans la même soirée. »
Je parierai même ma chemise qu’il se croyait totalement à l’abri d’un gros imprévu. Notre pauvre ami a raté son avion et a subit l’attaque d’un Cygne Noir dans la même soirée.
« Un cygne noir ? Qu’est ce que c’est que ça ? »
« Je vais chercher mes clés au comptoir, nous pourrions continuer cette discussion devant un bon repas. Leur restaurant est ouvert ce soir pour les résidents, et je meurs de faim. Rendez vous au buffet à 21h00. »
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Il s’éloigna et n’attendit même pas ma réponse. Un cygne noir ? Qu’est ce que ça peut être enfin…
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