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Partie 3
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La stratégie
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Premier coup : Exploiter la faiblesse du pion noir.
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– Bonjour. Monsieur Roid c’est bien cela ? demanda Paul en dévisageant son interlocuteur d’un regard scrutateur, tout en lui serrant la main.
– Bonjour, c’est bien mon nom, et ravi de vous rencontrer enfin, répondit Franck avec un sourire digne d’un représentant commercial, mais les traits du visage un peu tendus.
Paul n’avait pratiquement pas changé : cet air de prendre les gens de haut, ce mépris détestable, ce visage enjôleur et prédateur tout à la fois… c’était le même, en plus vieux. Une vague de sensations, de souvenirs et de réflexes submergeait Franck, presque désarçonné. « Je dois me forcer… ne pas me trahir, pas maintenant » songeait-il afin d’enfouir sa haine au plus profond de son être.
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– Donc, si j’ai bien compris, tu vas prendre rendez-vous avec ce Paul et faire un marché avec lui ? demanda Ly avec une pointe de scepticisme que l’on percevait bien dans sa voix.
Franck s’était rassis à côté d’elle, sur le lit, et poursuivit son explication :
– C’est à peu près ça. Mon but est de l’intéresser, mais j’en fais mon affaire. Ce premier coup sera le plus difficile à placer sans éveiller les soupçons. Après la machine sera en route, et tout le reste ne sera qu’un jeu d’enfant…
– Il ne risque pas de te reconnaître ? Il t’a vu pendant des mois quand tu étais jeune après tout… s’enquit Antoine, toujours assit sur la seule chaise de l’appartement de Franck.
– Je ne pense vraiment pas, il se fichait royalement de ma présence à l’époque, répondit Franck en observant ses mains. Mais par contre il connaitra mon nom ! Après tout, ma mère portait le même, et il a cherché à la séduire pendant si longtemps… C’est sûr, il se souviendra du nom. Et il pourrait faire des recherches, je ne prendrai donc pas le risque de mentir sur mon nom, ni sur ma société. De toute façon, j’ai un plan…
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– Vous avez créé Astrolight seul ? demanda Franck en observant les vastes locaux, très somptueusement décorés. « Moins bordélique que chez les médiums que j’ai rencontré, mais les mêmes bibelots en version zen et feng shui. Et en version « je suis très riche et je ne manque pas de l’afficher ». L’arnaque par téléphone rapporte à ce que je vois. » nota-t-il en son for intérieur.
– Exactement, répondit Paul avec un air hautain. Mes associés ont investi en croyant à mon don spirituel, et nous comptons à présent plus d’une centaine de voyants travaillant uniquement pour Astrolight, ici à Paris mais aussi partout en France.
« Il n’a même pas relevé mon nom finalement ! Il se fichait donc de ma mère à ce point ! » pensa furieusement Franck, en faisant tout pour ne rien en laisser paraître.
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– Et que vas-tu lui proposer pour qu’il morde à l’hameçon ? interrogea Ly.
– Une campagne de communication géniale. Une publicité à grande échelle pour son entreprise, et pour laquelle ROID-COM participera en tant que conseil et investisseur, dans l’ombre bien évidemment. Une campagne com’ que je tiendrai dans mon bec, et Paul, par l’odeur alléchée, me tiendra à peu près ce langage : « Hé ! Bonjour, Monsieur Roid. Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !… » En fait, il ne déboursera pas un centime car je lui ferai croire que les retombées profiteront à ROID-COM indirectement et à long terme. Astrolight faisant office de succès témoins pour convaincre d’autres clients importants… Mais en réalité (soyez attentifs, je vais utiliser le peu d’anglais que je connais), oui en réalité, the cake is a lie…
– Le gâteau est, quoi ? Tu l’as sortie d’où ta phrase en anglais, rit Ly en le taquinant. Mais encore plus important, reprit-elle sérieusement, comment il avalera ça ? Pas du gâteau je parle, ton idée de publicité ?
– J’utiliserai ma méthode pour le convaincre… On combat le feu par le feu paraît-il. Et dans mes souvenirs c’était quelqu’un d’extrêmement prétentieux, il trouvera normal que je me mette en quatre pour Sa Seigneurie… Bon je sais Ly, ajouta-t-il en voyant qu’un sourire s’était dessiné sur son visage, je suis prétentieux également, mais il me bat à plate couture crois-moi. Et ça m’étonnerai qu’il ai changé, vu son activité professionnelle. Vous verrez, je ferai en sorte que mon plan marche. Il mordra à l’hameçon, et je tirerai doucement mais fermement sur la ligne…
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Paul, assis à son bureau, ne dit rien pendant deux bonnes minutes. Il fronça les sourcils, le front plissé comme par une intense réflexion.
Soudainement, il se tourna vers Franck qui était assis en face de lui (et qui attendait avec une anxiété qui lui était peu commune) :
– Alors, ensemble, nous allons « tout exploser » comme on dit, conclu Paul l’air satisfait.
– Vous ne croyez pas si bien dire : une vraie supernova, répondit Franck en lui souriant largement, le cœur battant à tout rompre.
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Deuxième coup : Avancer sa reine blanche en diagonale.
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Ly et Antoine attendaient avec impatience que Franck poursuive son explication. En effet, ce dernier aimait laisser planer un suspens insoutenable :
– ROID-COM se lancera dans une importante campagne de publipostage, poursuivit Franck. Avec flyers et dépliants distribués partout en France, dans les boîtes aux lettres, dans les différentes grandes villes… Efficacité prévue pour cette campagne de publicité : « Globalement inoffensive ». En fait pour être tout à fait franc, elle sera d’une totale inefficacité, parfaitement assumée, et surtout parfaitement intentionnelle… En fait, cela ne vous étonnera pas, vous connaissez tous deux les résultats douteux du publipostage sans stratégie. Mais j’en mettrai une couche supplémentaire : le secteur « professionnel » de Paul. En effet, je prendrai soin de proposer uniquement de services peu clairs, extravagants et surtout assez chers pour rebuter n’importe qui. L’argumentation sera inexistante, l’émotion négative et les moyens de contact rebutants (je proposerai à Paul un numéro en 08, personne ne sait jamais s’ils sont gratuits ou surtaxés, et bien sûr je prendrai soin de ne pas préciser grand-chose…)
– Et il acceptera une telle horreur pour sa publicité ? s’étonna Ly, dont le scepticisme était à son comble.
– A première vue, l’annonce aura bonne mine, elle ne sera pas différentiable de toute ces publicités mal conçues que l’on voit tous les jours avec une totale indifférence. En plus, j’aurai les recommandations de mes nombreux clients, très satisfaits par mes (vraies) campagnes de publicité. Mais j’ai un atout s’il hésite : je lui proposerai de mettre sa photo sur l’annonce !… Bon, je plaisante, ne me regardez pas comme si j’étais fou…
– Mais tu ES fou ! le taquina Ly.
– DONC, continua Franck en lui faisant la grimace, je disais que je le ferai de toute façon : cette photo sera capitale pour la suite des évènements. Mais mon véritable atout ne se refusera pas : passer dans une émission de grande écoute, aux horaires des films du soir, avec un reportage spécial « Entreprises Innovantes en France ». J’ai déjà pris contact avec la journaliste qui présente le reportage ainsi que les producteurs de la chaîne : ils sont partants.
– Partants pour quoi ? demanda Antoine.
– Ah ça ! J’ai du jouer serré !
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Paul observait attentivement le dépliant que Franck lui tendait si cérémonieusement.
– Voici le résultat tant attendu, lui dit Franck. Les meilleurs graphistes ont contribué à sa réalisation. Nous avons ajouté une photo de vous car les études ont prouvés que cela multipliait le taux de conversion prospect/client. Êtes-vous satisfait ?
« Qu’il soit convaincu ou non n’a aucune importance, il veut passer dans le reportage, et il sait que c’est moi qui paye de toute façon… » se rassura Franck.
Paul finit par faire « oui » de la tête et en silence.
– Nous commencerons la distribution dès demain, toutes mes félicitation ! annonça Franck en lui serrant la main.
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Troisième coup : Avancer son fou blanc dans la diagonale opposée.
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Franck se leva et se mit devant le piano. Il joua trois notes, comme pour séparer chaque syllabe du nom qu’il prononçait : Mé-lo-die.
– C’est une jolie fille (mais pas aussi jolie que toi bien entendu fit-il avec un petit clin d’œil à Ly, mais qui ne fut bien-sûr d’aucun effet), que j’ai connu en première année de fac. Elle était en sciences mais ne s’y plaisait pas trop, donc elle s’est réorientée vers une école de journalisme. Elle est passionnée et plutôt douée. Et voici ce qui l’emballe encore plus que le reste dans mon projet :
Il leur montra alors un petit bouton de chemise.
– Qu’est-ce-que c’est ? Oh, mais… mais c’est un bouton de chemise ! fit Ly en feignant sa stupéfaction. Mais c’est incroyable Franck ! Personne n’en a jamais vu de sa vie. C’est que ce Paul va être impressionné…
– Sais-tu que la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe… lui répondit Franck. Tu fais semblant de ne pas comprendre parce que je parle de Mélodie, j’en suis sûr ! C’est une micro-caméra, sous forme de bouton de chemise. Et non, pour vous répondre tout de suite, ce n’est pas James Bond qui me l’a passée, mais un de mes clients travaillant dans la micro-électronique. Son gadget sera utilisé dans un cas réel « d’espionnage », vos imaginez la publicité pour lui ! Et vous l’auriez vu : il était aussi excité que moi à l’idée de l’essayer…
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– Mais je n’ai pas de don comme le vôtre, je ne peux pas travailler honnêtement pour vous, confia Mélodie à Paul, tout en simulant une mine défaitiste.
– Oh ne vous inquiétez pas, il n’y a pas une seule personne ici qui a le moindre don, moi de même, lui répondit Paul tout sourire. La seule chose qu’il faut savoir, poursuivit-il, c’est dire au client qui est à l’autre bout du fil ce qu’il veut entendre, c’est aussi simple que ça ! Entre-nous, nous ne sommes pas dupes, le seul don que j’ai, c’est celui du business ! Avec le client, il faut enfiler le costume du voyant ou de l’astrologue… et lui dire les phrases qui sont pré-enregistrées dans votre ordinateur ! Il a donné son numéro de carte bleue et il est de notre devoir de lui donner le spectacle auquel il s’attend n’est-ce-pas, finit-il en éclatant de rire.
– Donc vous m’embauchez comme téléconseillère ? demanda timidement Mélodie, avec une lueur d’espoir parfaitement feinte.
– Non, je vous embauche comme médium chez Astrolight. Et à partir d’aujourd’hui vous avez un don dans l’interprétation des astres depuis votre petite enfance… lui annonça Paul visiblement ravi de l’effet qu’il produisait sur sa nouvelle recrue.
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– Mélodie est restée deux semaines, je lui avais promis que ce ne serait pas plus. Elle a parfaitement joué son rôle, tous les dessous d’Astrolight on été mis à jour : arnaque sur le long terme pour que le client se saigne, ou du moins saigne sa carte bleue ; transactions non déclarées pour certaines consultations ; pas de contrats de travail et la plupart des employés payés uniquement à la commission ; des centaines d’heures supplémentaires non déclarées ; et surtout, le clou du spectacle : Paul qui joue les patrons machos devant Mélodie, lui fait des avances explicites (alors qu’elle doit avoir la moitié se son âge), lui pince les fesses sans qu’elle demande quoi que se soit, et le tout enregistré en surrond et technicolor !
« Ah Paul, si j’avais su que tu te donnerais la peine de creuser ta propre tombe avant de te jeter dedans un bouquet de chrysanthèmes à la main tout en refermant le sarcophage derrière toi, je ne t’aurais pas tant détesté… » songea Franck avec un mélange étrange de gaité après une victoire inespérée, et d’amertume depuis longtemps enfouie.
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Nous étions à présent le soir de la fameuse diffusion. Franck était fébrile :
– Je lui ai envoyé un coursier qui lui délivra le message suivant à 17 heures : « Ce soir, vous aurez la notoriété que vous méritez depuis tant d’années… Toute mes condoléances. Signé : Une famille que vous avez humiliée. »
Son regard avait changé, et il semblait s’y dégager une étrange lueur, peu habituelle chez Franck. « Cette lueur, c’est de la férocité, cela ne fait aucun doute… » s’étonna Ly, extrêmement surprise… et inquiète.
L’émission commença à 21 heures. On y voyait un Paul souriant et fier de montrer les meilleurs aspects de sa formidable entreprise. Mais derrière tout cela se trouvaient les coulisses (filmées en caméra cachée), et qui se révélèrent bien moins reluisantes… Le petit discours pendant l’embauche de Mélodie, ainsi que les innombrables procédés douteux de Paul et d’Astrolight, tout y fut révélé : et ceci avec bien entendu le soin tout particulier qu’ont les journalistes de télévision de mettre en scène les informations les plus brutes… Ils y sont même allés avec une passion et un zèle peu communs !
Franck fut extrêmement satisfait de son opération, et c’est un euphémisme… Il regarda sa montre en fronçant les sourcils, puis releva les yeux en annonçant d’une voix très calme :
– Heure du décès : 21 h 34.
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Quatrième coup : Ré-avancer sa reine protégée par le fou, roi noir en échec et mat.
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Comme l’avait prévu Franck, les choses s’enchaînèrent très vite. Tous les efforts qu’il avait déployés avec la fausse campagne de publicité pour Astrolight se révélèrent payants : les gens se sentirent floués par cet odieux individu, dont tous le monde connaissait le visage, et qui voulait honteusement profiter des faibles qui n’avaient pas eu de chance dans leur existence… Franck appelait cela la publicité inversée. Lorsqu’il y a un scandale à propos d’une entreprise, le mieux qu’elle aie à faire est de se faire très, très discrète. Ce qui veux dire : pas de publicité pendant l’orage. Franck lui, poursuivit bien-sûr sa campagne de communication pour Astrolight (car c’est vrai, il fallait bien écouler tous ces stocks d’imprimés…)
Ce petit évènement qui sortait enfin de la politique et des autres sujets ordinaires se révéla être du pain béni pour les journalistes. Tout avait été calculé par Franck pour que l’épisode s’achève durant la période de Noël. En ce temps de fêtes, l’indignation du grand public devant ce scandale n’en fut que plus profond. Les investisseurs d’Astrolight quittèrent vite le navire, qui prenait l’eau de tous les côtés… Car c’est plutôt mauvais pour les affaires après-tout ! Sans compter les nombreuses plaintes émises par des clients en profitant pour revoir leur argent…
Franck le savait pertinemment : il ne fallait surtout pas intervenir dans la même émission que Paul (contrairement aux producteurs du reportage qui eux, le voulaient, pour faire grimper les audiences notamment) car il y aurait eu des amalgames dans l’esprit des gens. La confusion n’aurait pas servit les projets de Franck… Alors, deux jours plus tard, il fit sa conférence de presse. Il fallait combler le vide laissé par cette petite affaire, et le remplacer par un vrai monument. Il mis en place un partenariat de longue durée avec les victimes des pratiques douteuses de certains gourous et médiums, et avec toutes celles et ceux qui se sentent floués. Mais il proposa également de travailler avec les médiums qui veulent se former à la communication, au conseil, à la psychologie scientifique et qui veulent réellement et concrètement aider les gens dans leurs entreprises et leurs projets. En un mot, il voulait redonner l’initiative aux gens…
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Franck finissait sa conférence de presse diffusée à la télévision (conférence dont quelques parties seraient reprises par plusieurs chaînes d’informations, tout cela grâce à son côté inhabituel et entreprenant).
– Nous créeront une vie qui a du sens, conclu Franck. Car c’est là que se trouve notre avenir. C’est là que se trouve… notre destinée…
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Franck, ROID-COM, et son projet étaient à présent sous les feux des projecteurs, à l’échelle nationale. On aurait pu dire que c’était cela après tout « faire d’une pierre deux coups ».
Mais la trajectoire de la pierre de Franck avait un angle parfait, et elle fut envoyée avec une énergie dépassant réellement l’entendement : elle allait ricocher des années durant…
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Journaliste : Vous citez souvent des termes comme « se prendre en main », « imagination », ou « entrepreneuriat ». Ce sont les messages que vous voulez communiquer ?
Franck Roid : Oui, entre autres. Mais c’est même bien plus simple.
Journaliste : Je suis tout ouïe.
Franck Roid : Tout ceux qui enlèvent l’initiative au gens, leur enlèvent la vraie connaissance du monde, me mettent dans une colère noire. J’ai parfois l’impression que beaucoup de personnes, arrivés à l’âge adulte, recherchent désespérément un substitut de parent, capable de leur dire quoi faire dans leur vie pour aller mieux. Et on écoute des conseils sortis de je ne sais quelle théorie ou concept fumeux…
Je ne demande jamais aux gens de ma croire, je ne leur promet pas quelque chose d’irréel. Je leur demande d’essayer par eux-même, et de réaliser quelque-chose durant leur vie, de se dépasser et de dépasser une médiocrité ambiante bien trop présente. Pour moi, le bonheur et dans l’apprentissage et la réalisation. Mais ce n’est que mon avis, vous pouvez essayer, juste pour voir ce que ça donne…
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L’opération coup du berger avait débuté mi-septembre. Franck avait expliqué à Ly deux mois auparavant en quoi consistait ce projet peu ordinaire.
Ils étaient alors réunis tous les trois, Ly, Antoine et Franck, dans l’appartement de ce dernier. Comme d’habitude lorsque Franck habitait quelque-part, les meubles étaient presque inexistants : le seul canapé qu’il avait ayant été déménagé au local de ROID-COM, il restait une chaise pour Antoine et le lit pour Ly et Franck. En fait, la chambre était vite décrite : il y avait le lit, la chaise, le bureau et les quatre murs. Lesdits murs étaient encore blancs, pas un seul cadre, pas un seul poster, toute décoration semblant être totalement superflue aux yeux de Franck. On aurait même pu croire qu’il allait bientôt vivre comme le grec Diogène dans son amphore… Le seul détail qui apportait un minimum de gaité et de normalité dans cet espace était la musique : un piano de taille modeste était accolé contre le mur, juste à côté de la fenêtre. Ce piano représentait Franck : un peu de musique dans un monde trop vide…
Ly insistait d’ailleurs pour que Franck vienne chez elle et non l’inverse : à part des montagnes de livres entassés par terre dans le couloir de l’appartement (ce qui était assez impressionnant et amusant, du moins au début…) il n’y avait strictement rien à voir chez lui. C’était même plutôt déprimant ! Et vu qu’elle voulait le voir lui et non ses centaines de bouquins, autant qu’il se déplace (elle savait créer une ambiance elle au moins). Antoine, lui, le connaissait comme ça depuis si longtemps qu’il ne se posait même plus la question, bien qu’il préférait personnellement les belles choses et ne s’en privait pas.
La discussion était détendue mais Ly était la seule à ne pas encore tout savoir :
– Donc si j’ai bien compris, demanda Ly à Franck en fronçant les sourcils, tu veux couler « économiquement » l’entreprise, appelée Astroloy, qu’à monté ce… « Paul Quelque chose » que vous appeliez, en parfaits agents secrets de 10 ans, « l’ombre » c’est bien ça ?
– Oui Ly, c’est bien ça. A part pour Astroloy, c’est Astrolight le nom de sa boîte, dit-il en massant l’épaule de Ly pour faire pardonner le rire qu’il ne pouvait pas réfréner. Mais bon, tu as été induite en erreur par un dessin animé, et le nom de société qu’il a choisi est un peu faiblard c’est le moins que l’on puisse dire, ajouta-t-il en lui laissant un baiser sur la joue. Et je connais le nom de l’homme et sa situation exacte grâce à Antoine qui l’a recherché pour moi. D’ailleurs merci encore Antoine, c’est de l’excellent boulot.
– C’est bon Franck, rien n’est trop beau pour toi, répondit Antoine en plaisantant. D’ailleurs, ce n’est pas pour me vanter devant ta magnifique copine aux yeux ravageurs, mais ça n’a pas été une mince affaire. Tu imagines bien ce que tu m’as demandé au fait ? Retrouver quelqu’un qui bosse dans la voyance et qui est plutôt bien sapé… Voilà, tu comprends maintenant Ly les délires que ton « Franck » peut avoir ? Maintenant, je m’attendrais presque à ce qu’il me dise « Hé Antoine je cherche un grand blond d’un mètre trente-cinq que j’ai perdu de vue depuis le CE2, t’as 48 heures, bonne chance ». Alors heureusement qu’il paie bien. Bon je corrige, qu’il PAIERA bien. Parce que là, c’est à peine si je peux me payer un ticket de tram pour rentrer…
Franck sourit en levant les yeux :
– Antoine n’en rajoute pas, on sait tous que tu t’es acheté une nouvelle voiture récemment, et pas une discrète en plus…
– Il faut bien que j’ai l’air d’un avocat efficace, et pour avoir l’air d’un avocat efficace il me faut une belle et grosse bagnole… C’est malheureux mais les gens sont tellement superficiels, ce qu’il ne faut pas faire de nos jours ! Et puis…
– Et tu rentres en tram parce que tu n’a plus assez d’argent pour te payer un peu d’essence et le parking c’est ça ? l’interrompit Ly ironiquement.
Antoine, d’abord surprit, répondit en lui faisant un clin d’œil :
– Exactement, belle créature ! Le prix de l’essence au litre atteint trente fois ce que me paye Franck en un mois. J’espère que ton coup marchera d’ailleurs, poursuivit-il en faisant un petit signe de tête à Franck, qui revenait de la cuisine avec trois verres pleins de ce qui ressemblait vaguement à du jus d’ananas.
Franck tendit un verre à Ly et à Antoine :
– Il marchera… Je t’explique donc la suite Ly. La « mise à mort » sera celle de Paul, « l’ombre » que je poursuivais et qui a absolument tout pris à ma mère. Ça sera une exécution publique et en toute légalité ! Mais ce sera aussi la sentence de tout les arnaqueurs en puissance, qui profitent de la faiblesse psychologique des gens. Je vais m’attaquer aux voyants, médiums et autres astrologues sans scrupules. Les gens peuvent croire en ce qu’ils veulent, mais si ces soi-disant maîtres des « forces cachées » profitent de la crédulité de ces gens, alors ils auront affaire à moi. J’ai créé mon entreprise comme arme contre ces profiteurs, ce qui sera d’ailleurs son premier rôle.
« L’intensité de son regard, de sa voix… Il semble vraiment habité par une cause, en laquelle il croit vraiment » ressentit Ly. Mais elle ne savait pas encore comment il s’y prendrait exactement :
– Mais comment vas-tu faire pour toucher ce Paul que tu détestes tant ? Et… pour les autres ?
– Ça sera une partie d’échec, répondit Franck au bout de quelques secondes. Plus précisément : un échec et mat en quatre coups, annonça-t-il tout en posant son verre sur le bureau.
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Journaliste : Vous aimez la complexité n’est-pas ?
Franck Roid (avec un grand sourire) : J’adore ! C’est comme si je découvrait à chaque fois un nouveau monde. Plus c’est complexe, plus les découvertes et les implications sont importantes.
Journaliste : De quelles implications parlez-vous ?
Franck Roid : Lier, délier, recomposer, redistribuer les cartes autrement… Regardez le monde du vivant, il s’épanouit à la frontière du chaos. La complexité a créé un être humain impressionnant de capacités, et cette même complexité créera une société incroyable de possibilités…
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– Ah bonjour Mademoiselle vous tombez bien, j’ai vraiment besoin de vos lumières.
Le nouveau comptable de ROID-COM tenait dans son bras gauche un paquet de feuilles très épais, qu’il serrait contre sa poitrine. En fait, juste à ce moment là, Ly se dirigeait vers son propre bureau et elle savait que Franck ne serait pas là de la journée entière. « Toute cette journée pour moi toute seule ! Je vais pouvoir travailler sans entendre les « Mais bien sûr ! et dire que je n’y avait pas pensé avant ! Écoute-voir Ly je viens d’avoir une idée géniale » ou encore les « Ma puce, tu n’aurais pas apporté un peu de chocolat par hasard ? » ou même les innombrables blagues débiles de Franck… » pensait-elle tout en marchant d’un pas léger et gracieux. « Oh non, voilà le comptable qui se dirige vers moi, et dire que tout commençait si bien… »
– Voilà, poursuivit le comptable en serrant la main de Ly puis en remontant ses lunettes sur le nez, j’ai besoin de faire une petite mise au point concernant la comptabilité de la société. J’avoue que je m’y perds un peu dans la vision d’ensemble, ça part un peu dans tous les sens si vous me le permettez. Si je demande à Franck, je sais qu’il me répondra que je me fais trop de soucis pour de simples chiffres, et je sais que la gestion ce n’est décidément pas sa tasse de thé alors, eh bien… vu qu’il vous dit tout de ses activités j’aimerais…
– Entendu, interrompit Ly en soupirant derrière un joli sourire résigné, j’arrive dans votre bureau dans une minute, je vais d’abord poser mes affaires.
Lorsqu’elle revint, le comptable était assis à son bureau en train d’étudier le paquet de feuilles qu’il tenait juste avant. Cela faisait même pas deux semaines que Franck avait engagé un jeune expert-comptable à plein temps pour ROID-COM (ce qui devenait vraiment nécessaire vu le chiffre d’affaire atteint par la société).
Ly s’assit élégamment sur le fauteuil en face de lui :
– Bon, commençons, dit-elle d’une manière douce mais incontestablement ferme à la fois. Quels sont les points les plus obscurs pour vous ?
– Alors premièrement, ROID-COM a engrangé ces TROIS derniers mois l’équivalent de… je vérifie sur mon tableau excusez-moi… la somme de 358 242 euros. De BÉNÉFICE bien entendu, souligna-t-il en levant légèrement les yeux au-dessus de ses lunettes pour observer Ly. Alors que si je regarde sur la même période l’année dernière non atteignons… 42 euros.
– Et alors ? Nous gagnons 358 200 euros de plus, ça prouve que nous sommes en pleine croissance non ? dit-elle avec malice.
Le comptable la regarda les yeux écarquillés, enleva ses lunettes de la main droite puis répondit en soupirant :
– Une croissance pareille ne rentre même pas sur mon graphique si je le laisse à l’échelle. J’en ai même déjà touché un mot à Franck avant hier, au moment où j’ai découvert les premiers chiffres.
– Et… qu’a-t-il dit ? demanda Ly avec gourmandise.
Le comptable poussa un long soupir une nouvelle fois :
– Il m’a répondu que depuis il s’était mis à vendre de la drogue en bouteille de 1 litre dans le rayon frais des supermarchés, à côté des trucs pingouins ou je ne sais quoi… et que les affaires marchaient donc plus fort… Il a ajouté que j’étais dans le coup à présent, et que je devais me méfier de la DEA et du cartel de Colombie, finit-il avec beaucoup d’exaspération dans la voix.
Ly rit aux éclats en s’adossant sur son fauteuil. C’était Franck tout craché, il ne savait pas être sérieux avec ses collaborateurs dès qu’il était question de gestion.
« Bon… » se reprit-elle en voyant le visage gêné du comptable qui semblait ne plus savoir où se mettre dans ce monde de fous…
– En fait il y a un an de cela, nous avions beaucoup de charges et d’investissements à faire, et les rentrées d’argent équilibraient tout juste les comptes, continua-t-elle. Mais c’était intentionnel, nous devions amorcer le lien avec les associations.
– Ah, justement, vous pouvez m’expliquer brièvement ce système ? Parce que cet enchevêtrement d’associations et d’entreprises de toutes sortes me donne un peu le tournis. Ce n’est pas très clair.
– Au contraire, enfin surtout pour Franck c’est parfaitement clair !
Elle leva les yeux au plafond l’air pensive puis poursuivit :
– Saviez-vous qu’il a en tête quasiment la moindre entreprise et la moindre association avec qui il travaille, ainsi que la nature des échanges qui les lient entre-elles ? Il ne connait bien-sûr pas les noms ni les localisations exacts, mais il connait « la place et le sens » de chacune, comme il le dit souvent… Franck a des défauts, je suis bien placée pour le savoir, mais j’ai toujours été admirative devant sa mémoire et sa vision d’ensemble, qui sont assez déroutantes au début. C’est d’ailleurs pour ça qu’il n’écrit presque jamais rien, sauf pour trouver un éventuel principe qui relirait ces informations… Ah oui, et d’où son dédain particulier pour tout ce qui touche la gestion en général, ajouta-t-elle avec un sourire compatissant adressé au comptable.
Elle releva les yeux au plafond, la main gauche sur la tempe, comme pour l’aider à se concentrer.
– Je dois vous expliquer ça de manière à ce que vous ayez la vue d’ensemble… Je suis certaine que Franck vous expliquera tout en détail lorsqu’il rentrera demain, il y a certains noms qu’il doit vous communiquer… Donc, voyez tout son système comme une pyramide qui comptera trois niveaux. Les deux premiers niveaux sont déjà formés. Le premier consiste à vendre du conseil en communication à des entreprises, n’importes lesquelles, qu’elles vendent des produits ou des services. Ce conseil concerne le marketing, la publicité, le packaging, le management et éventuellement la demande de financement… En fait Franck a commencé par consolider ce premier niveau pour se préparer à créer le deuxième niveau, d’une complexité supérieure : les liens avec les associations. Lors de la fameuse affaire « Astrolight », Franck a occupé le terrain en proposant un nouveau service de conseil : la création et la gestion d’une association. Tout le monde pouvait participer à l’aventure, pourvu que l’on soit motivé et prêt à s’investir dans un projet. Les conseils donnés sont d’ordre légal (le droit des associations et la provenance des dons sont assez complexes, vous savez cela), managérial (je pense à la gestion des bénévoles notamment), et touchent surtout la communication externe des associations (image perçue par le grand public). Nous avons achetés ces locaux, l’étage où nous nous trouvons plus les deux étages du dessous, lorsque nous sommes passés à 78 salariés à plein temps. Et c’est à ce moment que Franck à associé les deux : entreprises et associations.
– C’est le fameux troisième niveau ? s’enquit le comptable.
– Oh non, nous sommes toujours au deuxième niveau. Il faut savoir que la création d’aussi nombreuses associations nécessite de leur trouver des financements ! Or, Franck avait déjà trouvé d’où viendrait le gros des dons : des entreprises voulant rehausser leur image. On appelle ça une synergie, ou encore un cercle vertueux : une entreprise donne à une association, cette association reçoit donc les financements qui lui permettent d’agir et de communiquer efficacement sur la population. La population est ravie, et grâce aux publicités de ROID-COM, elle sait quelle entreprise finance cette association… Et voilà une publicité inespérée pour l’entreprise donatrice, qui fait une communication de qualité, obtient une substantielle économie d’impôt sur les dons versés, et peut se vanter de véritablement améliorer la vie des gens (ce qui n’est pas donné à tout le monde). Un monde où chacun est gagnant !
– J’ai compris dans l’ensemble, mais il reste une petite question : d’où viennent les formidables rentrées d’argent de ROID-COM ? demanda le comptable tout en indiquant du regard les documents éparpillés sur le bureau.
– ROID-COM touche tous les honoraires versés lors de la mise en place, et le maintient, des liens entre les entreprises et associations. Vu leur nombre actuel, les rentrées d’argents sont impressionnantes. Ceci sans compter les revenus de la seule publicité, la méthode de Franck permettant de réviser l’ensemble des modes de communications avec les clients…
– A propos, j’avais bien sûr déjà entendu parler de cette fameuse méthode avant de travailler ici, mais je ne vois pas en quoi ce deuxième niveau en fait usage… Pardonnez-moi si je suis offensant en faisant cette remarque.
– Non, non, ne vous en faites pas, c’est Franck qui vous aurait exécuté du regard en ce moment, dit-elle alors qu’une adorable moue s’affichait sur son visage. En fait, reprit-elle, Franck veut permettre aux gens de rêver d’un monde meilleur, véritablement meilleur. Et pour lui, il n’y a qu’un seul moyen : agir soi-même et créer de nouvelles opportunités. La création d’associations est un moyen simple et légal de réaliser un projet pour le bien commun. Et la publicité des entreprises bénéficient d’une crédibilité et d’une part de rêve inégalées jusqu’alors. Une fois que les gens agissent, le futur devient réellement enthousiasmant, et Franck n’a plus qu’à le dire et le montrer dans ses campagnes de communication !
– Je vois donc à quoi ressemble cette gigantesque toile d’araignée… dit-il songeur. Ah, mais le troisième niveau alors ? reprit-il aussitôt.
Ly lui fit un large sourire entendu :
– Tout ce que je peux vous dire pour l’instant, c’est qu’il s’agit de la suite logique du deuxième niveau, mais d’une organisation plus complexe et engageant beaucoup, beaucoup plus de moyens financiers.
– Beaucoup ? interrogea l’homme en remettant ses lunettes sur le nez.
– Beaucoup, répondit à nouveau Ly dont les lèvres dessinait un léger sourire de sympathie. Comme il le dit souvent : « Vise toujours la lune. Même si tu la manques, tu atterriras parmi les étoiles… » Bon, je dois vous laisser à présent, j’ai malheureusement de nombreux appels à passer.
– Bien-sûr, je vous en prie Mademoiselle, merci infiniment, dit le comptable en se levant de son fauteuil pour lui serrer la main.
Ly le regarda dans les yeux avant de se retourner pour quitter le bureau. « Il à l’air un peu chamboulé par toutes ces informations, mais je suis certaine qu’il fait tout pour ne pas le montrer… » pensa-t-elle en son for intérieur.
Le jeune expert-comptable regarda Ly qui fermait doucement la porte derrière-elle. Il était seul dans le bureau à présent.
– Dieu tout puissant ! s’exclama-t-il en s’effondrant sur son fauteuil.
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Journaliste (un peu gêné) : Des personnes pensent que vous êtes touché par la folie dans certains de vos aspects. Que leur répondriez-vous ?
Franck Roid : La folie est un mot utilisé à tort et à travers, et usé jusqu’à la corde. Le génie également. On parle de folie lorsque cela ne produit pas de richesse pour la société, de génie lorsque cela en produit. Mais pour moi il s’agit de comportements inhabituels, sélectionnés par l’environnement. Mutation, sélection, tout est là.
Journaliste : Dites m’en plus, je suis curieux de savoir à quoi vous pensez.
Franck Roid : Notre environnement, je parle de la société qui nous élève et nous fait travailler, sélectionne la folie. Je dis bien sélectionne, et non produit. Mais au lieu de laisser cela au hasard, nous pourrions étudier ce phénomène. Car une bienheureuse folie est peut-être la seule chose raisonnable que nous ayons… pour penser notre avenir…
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Franck avait fait le voyage jusqu’à l’autre bout du pays pour rencontrer Philippe, un écologue renommé. Un écologue. La différence avec les écologistes tiens au fait que les écologues sont toujours des scientifiques qui étudient les écosystèmes, et ne sont pas des militants (ou du moins pas forcément). « Sinon, on appellerait des scientifiques qui militent des écologues-écologistes » avait rabâché Franck à Ly durant une bonne demi-heure, au grand désespoir de cette dernière (Franck l’achevant en ajoutant des blagues très recherchées du genre : « Ly… ? Écoutes-tu l’écho de l’écologue écolo ? Bon OK, ne fais pas ce regard consterné, je vais te laisser bosser ! J’ai un rendez-vous dans un quart d’heure de toute manière. »)
Philippe avait une soixantaine d’années, le visage allongé, assez mat, et portait une fine barbe noire sur trois centimètres. Il était plutôt grand (les 1m90 étant sûrement atteints) et se portait comme un charme : son énergie lui faisait bien paraître 20 ans de moins ! Lui et Franck marchaient sur un chemin forestier au milieu des Vosges.
– Alors, dites-moi monsieur Roid, pourquoi avez-vous tant tenu à me rencontrer ?
– Comme vous le savez parfaitement, commença Franck, suite au tsunami qui s’est abattu sur les côtes du Japon il y a trois semaines, les réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima ont contaminés les régions avoisinantes de façon inquiétantes. Les cultures, les plantations, les fruits, les légumes, les élevages, le lait et j’en passe… toute production est devenue impossible pour des décennies. Or vous savez également que 80% de l’électricité française est d’origine nucléaire, avec 58 réacteurs répartis dans 19 centrales. Si je vous sort toutes ces données, ce n’est pas pour vous étaler ma science, car vous êtes spécialiste de ce domaine, mais pour vous montrer que j’ai étudié ce problème en profondeur. Car j’en suis convaincu, notre pays et bien d’autres ont besoin de vous…
– Voilà qui me surprend, en quoi vous serais-je utile au juste ? demanda Philippe, intrigué mais néanmoins méfiant.
– Vous étiez un spécialiste de tout premier plan dans tout ce qui concerne la contamination radioactive des tissus biologiques. Vous avez travaillé au sein des meilleures Universités, et vous avez publié une centaine d’articles qui ont fait dates. Vous venez de prendre votre retraite, et pourtant, vous continuez à communiquer vos conseils et vos idées à tous ceux qui savent les écouter.
Comme à son habitude, Franck aimait marcher tout en réfléchissant. Alors il appréciait d’autant plus cette marche « argumentée » à travers ce petit sentier au milieu de la nature. Il percevait bien l’agréable odeur des sapins des collines vosgiennes, le chant discret des oiseaux, et cette légère brise qui donnait une bouffée d’air frais sous ce soleil caniculaire, en plein mois d’Avril.
– Si je vous parle en ce moment, c’est pour vous convaincre de créer une association. Une association équipée des meilleurs spécialistes en radioactivité et en biologie, des meilleures techniques, des meilleurs soutiens et de la meilleure notoriété auprès du grand public.
– Mais une association a besoin de financements, où vais-je les trouver ?
– Nous vous inquiétez pas, ce problème est déjà résolu. Je vous fournirai l’argent nécessaire à sa mise en place, et ensuite vous serez autonomes. Tout ce que je peux vous révéler pour l’instant, c’est que vous obtiendrez les sommes les plus impressionnantes qu’une association puisse recevoir sans en rougir de honte. Et ces généreux donateurs construisent les cathédrales d’aujourd’hui, que l’on peut voir dans l’Avenue des Champs-Élysées, entre autres…
Philippe écoutait attentivement en faisant des petits hochements de tête, comme pour confirmer qu’il avait bien compris.
Franck poursuivit son explication comme il l’avait prévu :
– Votre association fera autorité pour totalement repenser la sécurité nucléaire sur notre territoire et dans des pays comme les États-Unis. L’Allemagne semble quitter le navire de l’énergie nucléaire, mais la majorité de la population mondiale reste dans l’expectative : comment être prudent sans pour autant se tirer une balle dans le pied économiquement ? L’énergie est une ressource rare et chère, et la santé également. Vous permettrez aux différentes nations d’avoir les deux. Vous en êtes capables et vous le ferez.
Philippe observait Franck avec curiosité :
– Vous avez quel âge au juste ? demanda Philippe avec beaucoup de curiosité.
– Je vais avoir 28 ans dans trois mois. Mais vous auriez dû me connaître quand j’étais jeune ! lui répondit Franck avec humour.
Franck sortit de sa poche arrière une sorte de dépliant, et enchaîna immédiatement :
– Tenez, c’est pour vous.
Philippe prit l’enveloppe qu’on lui tendait. Franck ne dit rien d’autre et continuait à la regarder droit dans les yeux, malgré le soleil qui lui faisait face.
« Ce regard… c’est assez impressionnant… » se dit Philippe en prenant l’enveloppe. Il l’ouvrit avec une pointe de curiosité, puis s’exclama avec un mélange d’interrogation et de surprise :
– Des billets d’avion ?
– C’est exact. Si vous l’acceptez, vous partirez pendant trois jours pour Dubaï, avec votre femme bien entendu. Ça sera la seconde étape de notre projet commun. Comme vous pouvez le lire, le départ est dans quatre mois, presque jour pour jour. L’hôtel est déjà réservé, à votre nom.
– Mais, comment pouvez-vous êtes si sûr que j’accepterai votre proposition ?
– Disons… que je connais bien les aspirations des gens, vous ne passerez jamais à côté d’une telle opportunité, annonça-t-il d’une voix que l’on aurait qualifiée de joviale.
Philippe regarda le ciel bleu au dessus des sapins, en silence. Il sembla pensif, et Franck savait qu’il ne fallait jamais interrompre ce moment de réflexion chez un individu. Enfin, au bout d’une minute, Philippe interrogea Franck :
– Il y a tout de même une question qui me taraude depuis tout à l’heure monsieur Roid : avez-vous pris contact avec d’autres scientifiques ?
– Bien entendu. Par exemple, il y a quatre semaines j’ai repris contact avec certains de mes anciens professeurs de Master, et j’ai rencontré certains de leurs collègues à la technopole de Sophia Antipolis.
– Et dans quels domaines travaillaient-ils, si ce n’est pas indiscret ?
– La génétique moléculaire. Vous savez bien que les organismes génétiquement modifiés, les plantes notamment, ne sont pas bien accueillis par l’opinion publique. Je leur ai proposé une opportunité : effectuer des recherches plus précises, sur certains micro-organismes en priorité. Ah, et aussi de ne pas utiliser ces OGM sur notre bonne vieille planète bleue, elle en a déjà trop vu…
Philippe était interloqué par ces derniers mots :
– Mais alors il y a quelque chose qui m’échappe, que feront-ils des produits de leur recherches, de ces fameux micro-organismes ?
Franck avait un regard amusé, mais il parla d’une voix ferme qui ne laissait aucun doute sur son sérieux :
– Il va falloir attendre une centaine d’années pour noter un changement, mais ces organismes serviront à terraformer la planète Mars, tout simplement…
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Journaliste : Comment avez-vous pu convaincre les autorités de Dubaï ? C’est une sacrée logistique qu’il faut mettre en place je suppose…
Franck Roid : Ah ça ! C’est tout d’abord grâce aux technologies de l’énergie solaire. J’ai un petit arrangement avec l’Émir de Dubaï, qui manquera un jour de ce qui a fait sa richesse : le pétrole. Son fer de lance est donc à présent le tourisme de luxe et les nouvelles énergies. Question énergie, je lui ai présenté des chercheurs qui ont mis au point un appareil impressionnant, fonctionnant non pas sur le principe électrique (pas assez pratique et rentable), mais sur le thermique. Vous verriez cela ! Du grand art : les rayons du soleil, reflétés par des milliers de miroirs concaves, sont concentrés sur un tube central dans lequel circule une huile. L’huile chauffe à des températures qui dépassent l’entendement ! Dans cette région c’est très rentable. Ceci sans compter le monde qui sera rassemblé pour ces trois jours, c’est très bon pour les affaires et l’image… En fait, je suis accueilli les bras ouverts !
Journaliste (souriant) : Une dernière question qui me brûle les lèvres je vous prie, car j’entends que nous allons atterrir dans une minute : qu’allez vous donc nous annoncer là bas ?
Franck Roid (l’air pensif et affichant un petit sourire complice) : En fait, je vais y faire la plus importante déclaration de ma vie…
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Partie 4 : A suivre…
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